un projet d'extension de maison dans le Golfe du Morbihan réalisé par une agence d'architecture en tant qu'entreprise à mission

Le Local d’architecture est une agence d’architecture composée de cinq architectes-urbanistes : Paul de Greslan, Margaux Duroussay, Timothée Fetiveau, Amélie Lorgeoux et Lou Papelier. C’est cette dernière qui nous partage aujourd’hui sa réponse à « Qu’est ce qu’une entreprise à mission en architecture ? » !

La mission d’une société d’architecture

L’intérêt de notre agence, Le Local, pour l’entreprise à mission s’est développé grâce à la conjoncture de deux événements. D’une part, nous souhaitions créer une agence d’architecture qui fasse sens pour nous et pour nos clients. D’autre part, la réalisation de mon mémoire de recherche était l’occasion d’explorer ce dispositif de société à mission.

Comment peut-on résumer le dispositif de l’entreprise à mission, et comment se matérialise-t-il ?

En 2012, un groupe de chercheurs de l’école des Mines Paris Tech, a monté un processus réflexif sur la vocation même des entreprises. C’est ainsi qu’a été apporté en France le concept des entreprises à mission. Quelques années plus tard, en 2019, celui-ci a été officialisé dans le cadre de la loi PACTE.

Pour devenir une entreprise à mission, il faut remplir trois critères :

1. La raison d’être

Elle a pour but de permettre aux entreprises de ne pas seulement défendre un objectif financier, mais aussi d’inscrire leurs pratiques en considération et au service, des enjeux sociétaux et environnementaux.

Pour faire simple, il s’agit d’un mantra. Rédigée en quelques lignes et approuvée par les associés et les dirigeants d’une entreprise, elle rappelle le domaine dans lequel l’entreprise exerce et valorise son intention première.

2. La mission

À terme, la forme dite de « société à raison d’être » a pour vocation de glisser vers un statut d’entreprise à mission. Pour ce faire, celle-ci doit se doter d’outils de mesure, afin de juger de sa bonne conduite et de la cohérence de ses choix. Pour que la mission soit effective, l’introduction d’un cahier des charges strict, précis et partageable est fondamentale. Diffusé en interne de l’entreprise, il instaure des règles communes. Celui-ci permet à l’ensemble des acteurs d’évaluer ses choix au regard de la mission collective.

3. Le comité

Étant donné que l’entreprise à mission est une entité à part entière, sa raison d’être et ses engagements deviennent opposables. Pour cela, un comité de mission extérieur à la société doit se porter garant du bon respect des ambitions proposées. Nommé par l’entreprise, le comité doit se réunir pour interroger, conseiller et s’assurer du bon déroulement de la mission.

La mission ne peut toutefois pas se substituer aux objectifs financiers. Dans la mesureo ceux-ci garantissent la stricte viabilité de l’entreprise, et par extension, sa pérennité. Alors, il peut parfois être reproché aux associés de privilégier certaines actions aux bénéfices de la mission en réalisant des choix périlleux pour la durabilité de leurs affaires.

Dans le cas de votre propre création du Local d’architecture, quels étaient les enjeux et quelle est votre raison d’être ?

Les fondations de l’agence

Notre parcours à l’École Nationale Supérieure d’Architecture, ainsi que nos chemins de vie, nos diplômes de spécialisations et nos expériences professionnelles nous ont amenés à développer une vaste palette de savoir-faire au sein de l’agence. Issus de régions différentes et avec l’intime conviction de vouloir rendre à César ce qui est à César, nous avions tou.te.s l’envie de réinjecter nos connaissances aux services des lieux qui nous ont vu grandir.

Ainsi est né le Local d’architecture. Nous visons à ancrer notre travail dans ces territoires, pour fabriquer une architecture faisant sens vis-à-vis de nos convictions, mais également du contexte dans lequel nous construisons.

Un parcours vers la société à mission

Depuis 2016, nous existons sous la forme de collectif, au sein duquel nous développons une approche commune. L’officialisation de la société à mission était un pas supplémentaire pour asseoir le Local dans une philosophie collective et partagée. Alors, pour supporter les projets des uns et des autres, la mission de l’entreprise s’est alors imposée comme essentielle pour unifier nos pratiques et affirmer nos valeurs.

La disparité géographique et le rythme professionnel de chacun.e étant hétéroclite, la mission est l’occasion de porter un message commun, et d’harmoniser notre langage. L’adopter à l’échelle d’une société d’architecture, c’est également une manière de militer pour défendre une vision, vis à vis de la société civile et des autres parties prenantes de l’acte de construire. C’est aussi s’ancrer – à l’instar des quasi 700 sociétés à mission – dans une forme de corporatisme d’intérêts communs.

La mission instaurée par le Local d’architecture :

Conformément à l’article 1835 du Code Civil, Le Local d’architecture précise sa raison d’être dans son statut. À la fois boussole et garde-fou, elle énonce les principes que s’est donnés la société en considération des enjeux extra-financiers de son activité.

Mission établie par Le Local d’architecture

Cette raison d’être est issue d’un constat collectif. Nous souhaitions œuvrer et évoluer avec des projets cohérents pour la société, l’environnement, et pour nous-même. C’est dans ce contexte que nous avons fabriqué une méthodologie qui nous est propre. Faire avec, faire ensemble et faire école pour faire sens.

«Devenir des citoyens solaires, telle est notre destinée. Lorsque nos politiciens, économistes, ingénieurs, enseignants et tous les autres auront acquis une compréhension solaire plus claire, notre monde physique lui aussi changera. Alors la politique d’aménagement du territoire, la forme et les fonctions des constructions, l’environnement dans son ensemble tout cela évoluera; et bien sûr, dans le bon sens.»

D.WRIGHT, Manuel d’architecture naturelle, Parenthèse, 2004.

Dès lors, comment mettez-vous en place la mission au sein de votre structure ?

Nous appuierons notre propos en citant notre projet d’extension de longère à Béganne, situé non-loin du Golfe du Morbihan. Cette réalisation étant sous bien des égards la traduction architecturale de la mission que le Local d’architecture s’est fixée.

Puiser sur site des inspirations par un arpentage attentif

Dans une certaine mesure, le Local souhaite produire une architecture qui exploite les potentialités que lui offre son site. Faire avec, c’est porter un regard sur le déjà-là en tentant à la fois de respecter l’écosystème qu’il intègre, tout en profitant de ses singularités. L’enquête de terrain par un arpentage du site permet d’extraire des informations essentielles pour concevoir.

À Béganne, cette analyse a permis de faire émerger l’idée du bardage à recouvrement typique des techniques agricoles régionales, ou encore la mise en œuvre d’un contreventement par câbles inox toronnés sur ridoirs, issue de techniques navales pour maintenir les mâts des navires avec les haubans. Nous pouvons également observer l’installation d’un treuil métallique à bas-coût qui fait référence aux systèmes des serres agricoles environnantes.

Ce critère incite alors Le Local à travailler uniquement sur des projets accessibles à son échelle et plus encore. De ce fait, l’agence s’attarde plus volontiers sur des rénovations ou extensions qui conservent une densité bâtie pré-existante.

Des capacités humaines autochtones et des ressources locales

L’analyse du contexte d’un projet renseigne également sur la gouvernance en place. Ce jeu d’acteurs est l’occasion de faire ensemble, une architecture qui intègre les besoins initiaux et à venir.

D’un point de vue énergétique, c’est réduire la consommation globale d’un édifice en prenant en considération l’usage et les utilisateurs par l’installation de dispositifs manuels et réparables. La notion de confort étant subjective, permettre aux occupants de réguler la température et les courants d’air, c’est leur offrir une meilleure compréhension de l’architecture qui les abrite.

Par ailleurs, sélectionner en amont les entreprises avant même le commencement des dessins de conception, c’est prendre connaissance des techniques maîtrisées localement. À titre d’exemple, le chêne, le châtaigner et le robinier avaient été sélectionnés pour le bardage de cette extension. En raison de leur classe d’usage naturellement élevée, ils permettent de se passer de traitement artificiel et facilitent leur réemploi à terme. Finalement, la rencontre avec la scierie Woodstone Epaillard, qui travaille en partenariat direct avec des exploitations brocéliandes, nous a permis de conserver uniquement le chêne.

Fonder au (sous-)sol une architecture habile, résiliante et modeste

Implanter un nouveau bâtiment, c’est s’atteler à la modification et à l’artificialisation des sols. Faire école, c’est prendre conscience que l’énergie déployée pour fonder un nouvel édifice – souvent coûteuse, longue et dramatique écologiquement – peut être optimisée pour atténuer le pic d’énergie grise.

Par exemple, la creuse d’environ 1,20 m qui appuie la construction sur la roche mère, permet l’installation d’un vide sanitaire. Celui-ci laisse alors la possibilité d’aménager une citerne souple de 2000L pour stocker les eaux pluviales de l’extension. Accessible par un caillebotis amovible à l’extérieur, la citerne peut au besoin être remplacée le jour où celle-ci ne sera plus en état de fonctionner. Cette solution, peu courante, fait ainsi de l’acte de construire, une expérimentation architecturale à part entière, à même d’être réutilisée dans d’autres contextes.

Faire sens à l’aide d’outils graphiques spécifiques

Pour Le Local, concevoir une architecture ancrée se traduit dans une démarche de recherche méticuleuse. C’est s’employer à conscientiser toutes les externalités négatives d’un projet, tout en s’attachant à construire une architecture utile, confortable, saine et inscrite dans son contexte urbain, paysager et climatique.

Pour mesurer la capacité de notre société à respecter ses engagements, nous avons mis en place une méthodologie graphique. Comme une boussole, la coupe bioclimatique au 1/33ème nous guide tout au long de nos phases de conception. Ce mode de représentation, outil propre à l’architecte, s’attache à d’écrire ce qui le motive, ce qu’il maîtrise et ce qu’il souhaite mettre en avant.

Aujourd’hui, vous êtes une société à raison d’être. Souhaitez-vous évoluer complètement vers l’entreprise à mission ?

Il nous semble que la complexité du métier d’architecte – qui conçoit des projets variés, pour des commanditaires changeants et aux budgets multiples – nécessite de cadrer ses choix d’interventions. De notre point de vue, pour qu’un combat soit triomphant, il faut savoir parfaitement le définir.

Plus encore, s’atteler à un type de problématique de manière très spécifique permet en réalité de résoudre une multitude d’enjeux secondaires. La notion d’auteur-constructeur est sensible. Par conséquent, jamais un architecte n’exerce sans une part qui lui est très personnelle, intime et intrinsèque. C’est en cela que les méthodes proposées par la mise en place de l’entreprise à mission nous paraissent pertinentes.

L’avis de l’agence

Qu’il s’agisse de la norme ISO 26 000, de l’agrément « Entreprise solidaire d’utilité sociale » et désormais de la mise en place des entreprises à mission, il est admis que les politiques publiques exposent officiellement leur volonté de requestionner le système actuel. Certes, pourtant cette affaire délicate à l’origine des dérèglements climatiques, des manifestations constantes ou encore de la raréfaction des matières premières n’est pas un sujet qui relève de l’entité privée, ou du moins pas seulement.

Nous pouvons, malheureusement, faire le constat que ces outils mis à disposition des sociétés, sont une manière détournée de renvoyer la responsabilité aux organismes privés. En poursuivant ce raisonnement, dans le cadre des entreprises dites d’utilité publique et d’intérêt général, c’est admettre qu’il existe une défaillance même de ce pourquoi la société existe.

Selon les politiques publiques, il s’agit de pousser à la redéfinition de ce qu’elles estiment comme étant d’intérêt général, pour autant qu’elles admettent encore sa nécessité profonde. Aussi, doit-on demander à des médecins les raisons qui les poussent à soigner ? Aux avocats pourquoi défendent-ils? Où encore, à des architectes pourquoi construisent-ils ?

« Et s’occuper de l’homme, et non du capitalisme ou du communisme ; du bonheur de l’homme, et non du dividende des sociétés; de la satisfaction à apporter aux profonds instincts humains et non de concours de vitesse entre les services commerciaux de deux firmes. Remettre l’homme sur ses pieds, ses pieds sur le sol, ses poumons dans l’air, son esprit sur un travail collectif édifiant et l’animer des joies d’une agitation individuelle féconde. Et non pas le réduire à l’état d’une valeur amorphe fixe à empiler en trust vertical. S’occuper de l’homme ! C’est, alors, désigner et aménager les lieux et construire les vases qui contiendront des activités fécondes. C’est donc: urbanisme et architecture. »

Le CORBUSIER, La Ville Radieuse, Editions de l’Architecture d’Aujourd’hui, 1935.

Dans ce cadre, après l’apologie du Less is more par Mies Van der Rohe dans les années 1930 – qui a engendré un tournant architectural majeur poussant à l’épuration, et la standardisation – nous pourrions rapprocher ce qui précède avec la posture de certains architectes, qui affirment désormais que de ne pas agir, c’est déjà un choix architectural. Par exemple, nous pouvons citer les architectes Lacaton Vassal qui insistent sur ce point dans le cadre de leur projet de la place Aucoc à Bordeaux :

« Ne rien faire, c’est ce que ce bureau d’architectes a choisi de proposer pour l’embellissement de la place, parce qu’elle leur plaisait telle qu’elle était. Ils considèrent pourtant cette place comme l’une de leurs réalisations majeures, dans la mesure où «c’est un projet». « 

RTBF, 11/2022, Dans quel monde on vit? Ne rien faire avec G.Clément et JP Vassal (consulté le 27.05.23)

Le mot de la fin ?

Est-ce que la mouvance architecturale de demain pour réaffirmer l’importance de la place de l’architecte dans le débat public, n’est pas la fermeté à se refuser à la commande pour maintenir une architecture qui fait sens ? La mission devient ainsi un tamis qui laisse s’échapper les projets nocifs, au profit d’une part de marché plus sélective et engagée.

En ce qui concerne Le Local d’architecture, pour le moment, notre recherche se poursuit. Ce dont nous sommes sûr.e.s c’est que la méthodologie que nous sommes en train de mettre en place nous aide véritablement à faire des choix, et à défendre nos idées. Grâce à ça, nous gagnons du temps dans la prospection de projets, dans la manière de les concevoir et sur comment les présenter.

L’entreprise à mission nous semble être un cadre adapté pour encadrer notre démarche. Celui-ci permet à chacun de mettre en avant sa sensibilité au sein d’un projet collectif. Néanmoins, nous sommes conscients que le chemin vers une réelle intégration de ces principes reste à parcourir…

© Réalisations : Le Local d’architecture

© Photographies : Paul de Greslan


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