Parlez-nous de vous…
Avant de travailler pour des particuliers, j’ai pour ma part eu l’opportunité d’évoluer dans l’univers du retail, pendant sept ans. Notamment pour des boutiques de maisons de mode telles que Christian Louboutin, Dior, les Galeries Lafayette, ou encore Celio*, au sein des départements d’architecture de ces différentes maisons.
Pouvez-vous nous parler de quelques exemples de vos projets d’aménagement retail dont vous êtes particulièrement fière ?
Oui, bien-sûr ! J’ai eu l’opportunité de réaliser une mission de conception pour la marque Christian Louboutin. Il s’agissait d’un projet d’aménagement d’une de leur boutique, à Bangkok. L’ambiance générale des lieux devait être colorée, iconoclaste et graphique, tout en intégrant les codes culturels asiatiques au vu de la localisation de la boutique.
Pour les Galeries Lafayette, cette fois-ci j’ai travaillé en mission complète. De la conception au suivi des travaux, pour rénover une partie du R+4, afin d’y accueillir une nouvelle marque. Ici, le design se voulait innovant, urbain et audacieux, à travers l’utilisation de nouveaux matériaux comme des plaques de métal gravé, de la mousse d’aluminium et de l’inox patiné pour le mobilier. La gestion et le suivi des travaux de ce projet a duré au total environ 14 mois.
Au vu de vos expériences dans l’aménagement dans le retail, quelles sont les contraintes spécifiques que vous avez pu rencontrer ?
Respecter les normes, notamment ERP et PMR
La prise en compte de ces contraintes légales pour l’aménagement d’un point de vente s’avère essentielle. À la fois considéré comme une vitrine de l’univers de la marque, il s’agit avant tout du lieu qui va accueillir des clients. Il doit d’ailleurs par la même occasion favoriser l’acte d’achat final. Tout établissement recevant du public est soumis à des obligations de sécurité et d’accessibilité. Ces mesures légales ont pour but d’assurer la sécurité des personnes (collaborateurs, clients, fournisseurs…), de favoriser l’alerte rapide en cas d’incident et de permettre l’intervention des secours.
Au-delà, il y a aussi l’obligation de respecter les règles d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduites. Il s’agit alors de prendre en compte cette donnée : dans le dimensionnement des circulations à l’intérieur des bâtiments et des stands de présentation des produits, dans les choix de revêtements de sols et autres parois, ou encore dans la sélection du mobilier susceptible d’y être installé.
Je dirai qu’il s’agit vraiment ici des deux contraintes fortes à prendre en compte, comme des garde-fous qui vont orienter tout le reste du projet d’aménagement en retail.
Définir le programme de la marque pour exposer et vendre ses produits
Défini en amont par le service commercial d’une marque, et demandé aux architectes d’intérieur pour l’ensemble des lieux de vente, le volume de marchandise à exposer permet de définir le volume de mobilier nécessaire et son design. Les produits doivent-ils être exposés sous verre ? Ou au contraire, les clients doivent-ils pouvoir les prendre en main eux-même ? Doivent-ils pouvoir les essayer dans un cadre intimiste et privilégié ? Ou bien, dans le cas d’une enseigne de grande distribution, l’objectif est-il de vendre du volume ? En fonction de ces paramètres, le parcours client et les espaces d’essayage et de vente seront complètement conçus différement.
Considérer la charte graphique de la marque
Dans le cas d’une entreprise existante
Une marque déjà établie a déjà défini son univers, comprenant un logo, des emblèmes, une typographie, et des couleurs. Ce sont ces éléments qui permettent d’identifier la marque dans son environnement (concurrents, etc.). Mobilier, décoration, ambiance lumineuse, visuelle et olfactive sont autant d’éléments qui offrent une expérience construite autour d’une identité précise. L’aménagement d’un point de vente a alors tout intérêt à être imaginé en synergie avec l’image de marque. Dans ce cas, un cahier des charges précis est mis à disposition, pour guider la réflexion et assurer que celui-ci sera respecté. Par exemple, en amont de la mission pour Lacoste, nous avions reçu un book qui résumait son histoire, l’image de la marque à transmettre, et l’univers des lieux attendus.
Nous l’avons dit, des contraintes d’identité de marque sont demandées, mais pas que ! Une enseigne doit aussi pouvoir s’adapter au public local. Une boutique en France, n’aura pas le même agencement qu’une enseigne japonaise, et pour cause : nous n’avons pas les mêmes cultures.
Je peux citer l’exemple de boutiques Christian Louboutin en France, où les emblèmes de la marque – le logo, les miroirs et la couleur rouge – se marient avec des éléments tels que des moulures. Pour l’enseigne de Bangkok, nous avons utilisé des motifs rappelant les papiers peints asiatiques. La boutique de Dubaï rappelle quant à elle l’esthétique orientale à travers l’utilisation de drapés dans les lieux.
Dans le cas d’une entreprise en lancement
J’ai aussi eu la chance de travailler sur des projets plus « libres », où la charte était à imaginer de A à Z. Lorsque les projets sont en cours de création, on a déjà plus de liberté sur les éléments que nous pouvons mettre en place. Notamment, je pense au projet d’un studio de yoga à Paris que j’ai eu l’opportunité de traiter. Les clientes avaient une idée en tête de l’univers qu’elles souhaitaient créer (un lieu de sport immersif). Pour autant elles attendaient des recommandations sur l’esthétique globale du lieu.
À travers notre accompagnement, nous avons traité la demande en proposant un univers graphique et une signalétique créée pour l’occasion, avec des solutions technologiques sur-mesure. Ce fut une expérience enrichissante, car nous avons pensé le projet dans les moindres détails pour créer une atmosphère particulière à destination de la clientèle.
Quelles sont les difficultés que vous avez pu rencontrer sur vos projets d’aménagements dans le retail ?
Dans ce genre de projets, de nombreuses difficultés peuvent se présenter. Elles existent aussi dans des projets pour des particuliers, mais elles sont parfois différentes dans le cas d’un aménagement dans le retail. Ces aléas sont à prendre en compte dès les premiers échanges avec les commanditaires.
Une exigence dans les finitions du projet terminé
Il ne s’agit pas réellement d’une difficulté mais plutôt d’un élément avec lequel il faut composer. Lorsque l’on travaille avec des enseignes et surtout des marques de luxe, les délais de conception peuvent être très longs. De nombreux détails sont validés au millimètre près. Allant parfois même jusqu’à la création de prototype à l’échelle 1, surtout pour le mobilier sur-mesure, avant le lancement de sa fabrication. En effet, certains aménagements peuvent être dupliqués sur divers sites, et il est alors nécessaire de lancer leur production une fois tous les paramètres validés en amont. Ce sont des projets qui pour nous sont très peu libres en termes d’expression et qui nécessitent une exigence aux détails importante. Cependant, cela est intéressant dans les process.
Une gestion du chantier parfois difficile et stressante
Ici, je pense notamment à la rénovation et l’aménagement de boutiques en centres commerciaux. Le suivi de ces travaux s’avère parfois délicat. Dans le sens où ces magasins ne peuvent pas fermer en journée, les travaux ont donc toujours lieu de nuit. Et même si une palissade de sécurité est installée pour éviter les désagréments auprès des clients, la gestion des poussières et des gravats doit être faite de manière chirurgicale. Notre organisation doit alors s’adapter ! Je me suis par exemple bien souvent rendue très tôt le matin sur des chantiers pour superviser les avancées.
D’autre part, la gestion des travaux peut s’avérer être une source de stress, car ce type de chantier ne peut pas avoir de retard. Les magasins ont une date d’ouverture bien précise, elles communiquent dessus sur leurs réseaux sociaux et autres publicités, et tout retard entrainerait une perte importante en termes de bénéfices et de notoriété. Notre responsabilité est alors encore plus engagée. La gestion du chantier est donc très importante pour éviter que tout retard n’entraine ce genre de conséquences.
Aussi, le jeu des chaises musicales dans un environnement multi-marques peut pâtir de retard de livraison de chantier (démarrage de chantier de la boutique voisine, déplacement momentané d’un autre stand impacté par les travaux etc.).
Malgré tout, nous devons composer chaque jour avec des aléas…
Je me souviens d’un jour où l’escalator du centre commercial dans lequel nous avions un chantier ne fonctionnait plus à la fin d’une nuit de chantier. Il a alors fallu comprendre ce qu’il s’était passé et surtout trouver une solution très rapide avant la réouverture aux clients le matin à 9h. À ce moment-là le stress était à son comble.
Quel serait pour vous le meilleur conseil pour vos confrères et consœurs souhaitant accéder à des projets d’aménagement dans le retail ?
Pour moi, la plus grande qualité à avoir reste la bonne gestion du stress. Au cours d’un projet d’aménagement pour des entreprises, la pression du maître d’ouvrage peut se révéler parfois très importante. C’est à ce moment-là que les savoirs-faire en termes de communication et de régulation de la pression sont absolument nécessaires.
Aussi, être consciencieux est impératif, puisque les données validées en amont du chantier ne pourront être modifiées ensuite (chaînes de décisions très lourdes).
Enfin, il est primordial d’être intéressé par le détail en général, car le niveau d’exigence peut être assez haut de la part des commanditaires. Dessiner des plans d’exécution sérieux, et s’entourer d’artisans solides et compétents pour ce genre de mise en œuvre est indispensable. Il faut absolument anticiper chaque élément pour éviter des difficultés lors des travaux et conserver une bonne relation avec son client !
© Visuels 3D : Mirabel Studio
© Photographies : Mirabel Studio, Stéphane Vasco et Methee Buachoo
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